Courville (Théâtre)
Courville (Théâtre)
D.I., Delinkan Intellectuel, revue d'actualité et de culture, Vol. 25-05 : www.societascriticus.com
Texte, conception et mise en scène Robert Lepage
Une production Ex Machina
Avec Olivier Normand
Du 12 septembre au 13 octobre 2023
Supplémentaires du 14 au 15 octobre 2023
1 h 55, sans entracte
« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », prétendait Arthur Rimbaud. Dans Courville, c’est la gravité de l’adolescence qui est décrite, cette période de la vie où, un pied dans l’enfance et l’autre dans l’âge adulte, on hésite, on doute, on angoisse, on découvre, on rit, on aime.
Courville dans les années 1970 : une banlieue proprette de Québec, près de la spectaculaire chute Montmorency. Simon a dix-sept ans, une mère et un oncle, franchement mononcle, récemment arrivé à la maison après la disparition du père. L’oncle est aussi bourru et vulgaire que le père était délicat. Simon s’est réfugié au sous-sol de la maison, devenu son repaire, son repère. C’est là qu’il rêve sa vie en écoutant la musique parfois planante du rock progressif de ces années-là. C’est là qu’il vit ses premiers émois amoureux, avec son amie Sophie qui, elle aussi, ne sait pas trop où se situer par rapport à la sexualité, puis avec un bellâtre inculte qu’il considère comme un sauveur. C’est là aussi qu’il finit par éprouver l’empathie nécessaire pour comprendre sa mère…
Dans une scénographie époustouflante, l’adolescent, devenu adulte, relate les errances et autres embardées de sa jeunesse, en prêtant sa voix à tous les personnages, interprétés par des marionnettes à taille presque humaine. En toile de fond, la guerre froide, symbolisée par le match de hockey opposant le Canada et l’URSS, l’éternel affrontement entre anglophones et francophones, la fin de la famille nucléaire et le début de l’ère de la consommation. Comme dans 887, et comme souvent chez Robert Lepage, le propos intime rejoint l’universel, la petite histoire s’imbriquant dans la grande.
par MICHELLE CHANONAT
Commentaires de Michel Handfield, M.Sc. Sociologie (2023-09-17)
Courville, c’était une municipalité à l’époque. (1) Situé près des Chutes-Montmorency une partie de l’action de la pièce s’y déroule d’ailleurs, car c’est le « spot » de Simon avec son amie Sophie, même si Simon passe beaucoup de temps dans son sous-sol, un peu la représentation de son monde intérieur.
D’ailleurs, le sous-sol, la musique (2), quelques amis, des conflits à l’école, chacun ayant ses groupes et ses codes, voilà un peu la définition de l’adolescence. C’était aussi la définition du monde à cette époque, divisé entre l’est et l’ouest, représentés par les États-Unis d’un côté et l’URSS de l’autre. À la fois en relations, à la fois en conflit, mais en passant par des intermédiaires qui se battaient à leur place. Par contre, ces deux opposants leur fournissaient armes et conseillers stratégiques !
On le fera aussi par le sport, avec la Super Série entre l’URSS et la LNH qui a débuté en 1976 pour s’étendre jusqu’en 1991. (3) On en voit d’ailleurs des extraits dans cette pièce de théâtre.
C’est aussi l’époque de la découverte de son corps, de ses désirs, de ses insécurités et de ses peurs. Simon ayant perdu son père et voyant sa mère se rapprocher de son oncle, si différent de ce qu’était son père, il ne comprend pas trop comme il ne comprend pas trop certaines attirances qu’il peut parfois avoir. Le désir, l’amitié, l’amour et parfois seulement le sexe pour le sexe sont des concepts à apprivoiser. Comme pourquoi un sauveteur à la piscine attire ainsi son regard? Puis, il y a Sophie, même si c’est parfois ambigu.
Bref, une période, l’adolescence, sur laquelle il est intéressant de se pencher au théâtre, car elle définit l’adulte qui s’ensuivra. Elle définit aussi la société de demain, car ce sont ces adolescents qui deviendront un jour les adultes qui prendront la société en main, qui la changeront un peu, beaucoup ou pas du tout. Qui parleront ouvertement de ces choses ou les conserveront tabous.
Robert Lepage a écrit une très bonne pièce dont on saisit toute l’importance à deux niveaux. D’abord, au niveau historique, car cela se passe en 1975-1976, des années de changements libérateurs.
Ensuite, au niveau contemporain, à travers cette pièce, l’on perçoit le recul possible dû au retour d’un conservatisme pur et dur qui fait peur. La droite recule tellement en arrière que les anciens progressistes conservateurs seraient les nouveaux libéraux et les libéraux la nouvelle gauche. Le NPD a l’air de l’extrême gauche dans ce décor postmoderne au lieu du centre gauche qu’il est réellement. Car l’extrême gauche ce sont plutôt les tiers partis comme les marxistes-léninistes et les maoïstes par exemple.
De plus, ce qui était jugé comme réglé une fois pour toutes est maintenant remis en question à nouveau; de l’avortement au retour du conflit entre les États-Unis et la Russie en passant par l’affirmation de genre. Des groupes de droite militent pour le retour de l’épouse traditionnelle à la maison par exemple. C’est le mouvement « tradewife », proche de la droite traditionaliste, qui prône le retour de l’épouse au service de son homme comme dans les années 1950 ! (4) On s’en prend aux symboles du progrès scientifique, comme les vaccins et les changements climatiques par exemple, et à la reconnaissance de l’égalité pour tous, comme les toilettes non genrées qui sont utiles pour tous, car elles limitent l’intimidation qui se passe dans ces lieux clos présentement même si elles sont genrées. (5) Après la reconnaissance difficile des LGBT+, effacerons-nous aussi les progrès réalisés au niveau de l’égalité pour revenir à une chasse aux gais, personnes différentes et aux gauchistes dans un néo-Maccarthysme? (6) La question se pose et m’a traversé l’esprit quand j’ai vu le documentaire La purge (7) le soir même où j’ai vu cette pièce en après-midi au TNM. Je ne pouvais pas passer à côté.
De quoi ressortir « Get Back » des Beattles (8) en générique de cette pièce, c’est-à-dire quand on nous en présente les artisans à la fin de la pièce. Vous savez, un peu comme la musique du générique d’un film. C’est tout ce qui y manquait selon moi.
Postface
Coup de chapeau au comédien et aux marionnettistes qui tiennent cette pièce à bout de bras si je puis dire. Vu les sujets sensibles qui la traversent, je comprends ce choix d’avoir eu recours à des marionnettes plutôt qu’à de jeunes comédiens. C’eût été délicat pour certaines scènes. Mais, je verrais des parents y amener leurs ados pour en discuter avec eux par la suite. Des écoles pourraient aussi le faire pour les secondaires 4 et 5 selon moi. (9)
Notes
1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Courville_(Québec)
2. Comme Child in Time de Deep Purple qui joue au début de cette pièce : https://www.youtube.com/watch?v=OorZcOzNcgE
3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Super_Séries
4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Tradwife
PARMALIA KOUNKOU, LE PHÉNOMÈNE DES « TRADWIVES », OU LE RETOUR EN FORCE DE LA FEMME SOUMISE, Urbania, 03 AVRIL 2023 :
https://urbania.ca/article/le-retour-en-force-de-la-femme-soumise
5. ISABELLE HACHEY, Tempête dans un urinoir, LA PRESSE, 17 septembre 2017 :
https://www.lapresse.ca/actualites/chroniques/2023-09-17/tempete-dans-un-urinoir.php
6. https://fr.wikipedia.org/wiki/Maccarthysme
7. La purge, Épisode du 16 septembre 2023, Doc humanité :
8. https://www.youtube.com/watch?v=IKJqecxswCA
9. Des jeunes peuvent être murs plus rapidement que d’autres et les parents peuvent les y amener plus tôt qu’en secondaire 4 ou 5. Mais, je mets ici des chiffres plus conservateurs s’il s’agit d’une sortie avec l’école. Pas long d’avoir un dérapage si un ou deux parents se mettent à se faire aller l’objection de conscience sur les réseaux sociaux sans même avoir vu la pièce ! Et quand, ça part, ça peut déraper facile sur les réseaux sociaux.
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