Commentaires livresques : Le retrait de Vijay Prashad, Noam Chomsky

 

Commentaires livresques : Le retrait de Vijay Prashad, Noam Chomsky


D.I., Delinkan Intellectuel, revue d'actualité et de culture, in Societas Criticus Vol. 26-03 : www.societascriticus.com



LE RETRAIT

La fragilité de la puissance des États-Unis: Irak, Libye, Afghanistan


Vijay Prashad, Noam Chomsky

Traduit de l'anglais par Pascal Marmonnier

Préface d’Angela Y. Davis

Lux, collection Futur proche

https://luxediteur.com/

Nombre de pages: 168




« Cet entretien profondément stimulant entre deux de nos plus importants intellectuels contemporains corrige la négligence des médias à propos des dommages catastrophiques infligés aux personnes, à l’environnement et aux ressources en Afghanistan après le retrait des États-Unis, ainsi que de leurs guerres tout aussi injustifiées en Irak et en Libye. »


— Angela Davis, extrait de la préface




Depuis le départ des dernières troupes américaines du Vietnam, et surtout depuis la débâcle en Afghanistan en 2021, jamais les États-Unis n’ont fait face à une telle incertitude dans leur politique étrangère. Que s’est-il passé? Et que leur réserve l’avenir?


Peu d’analystes sont mieux placés pour aborder ces questions que Noam Chomsky et Vijay Prashad, intellectuels et critiques infatigables dont le travail s’étend sur plusieurs générations et continents. (NDLR voir les hyperliens à la fin.) Tous deux spécialistes en matière de politique internationale, ils décryptent en profondeur les dynamiques et les ressorts de cette période et nous donnent des clés pour aborder notre époque, chargée de périls et de changements sans précédent.



Commentaires de Michel Handfield, M.Sc. sociologie (2024-06-28)


À lire Noam Chomsky, je me dis pourquoi veulent-ils dominer le monde quand il faudrait sauver la planète. Michel Handfield


Mais, qui ça, ils? D’abord, les États-Unis. Pour Noam Chomsky, c’est le modèle de l’impérialisme moderne par excellence. Mais, personnellement, je mettrais aussi la Russie et la Chine sur le même pied, car eux aussi visent cette place, surtout depuis leur alliance récente. C’est que la dictature sino-russe n’a rien à envier à l’impérialisme états-unien.


Par chance que ce trio (États-Unis, Chine et Russie) ne s’entendent pas, car on serait devant une véritable trilatérale du Pouvoir. Et, ce n’est pas l’Europe qui pourrait s’y opposer, moins belliqueuse que les États-Unis.


Quant à l’impérialisme états-unien, il préfère soutenir les dictatures de complaisance qu’une démocratie, comme celle de la Communauté économique européenne par exemple, qui peut oser les contredire, voir s’opposer à leurs dictats, au nom de la démocratie. (1) Par exemple :


« Opposés au projet de la gauche en Afghanistan, les États-Unis ont « jauni » la guerre en recrutant massivement des forces réactionnaires afghanes et pakistanaises financées par les pétrodollars saoudiens, armés jusqu’aux dents par la CIA et d’autres agences américaines et bénéficiant du soutien logistique de la dictature militaire et religieuse du Pakistan. » (Chapitre 2, Le 11 septembre et l’Afghanistan, p. 34)


Mais, tout cela, à quels risques et à quels couts? Énormes pour les Afghans, comme pour bien d’autres, que les États-Unis ont ensuite laissé tomber quand ils n’en voyaient plus l’utilité :


« Ces dernières années, les guerres des États-Unis n’ont rempli aucun de leurs objectifs. En octobre 2001, les troupes américaines ont envahi l’Afghanistan en procédant à une monstrueuse campagne de bombardements et d’« extradition extraordinaire », avec l’objectif de débarrasser le pays des talibans; vingt ans plus tard, les talibans sont de retour. » (Introduction, p. 8)


En fait, ce n’est pas en vingt ans qu’on change les choses. C’est sur quelques générations, rarement moins. Vouloir changer des traditions et des croyances religieuses, c’est long, très long. Après 69 ans de communisme soviétique (2), qui a tenté de bannir la religion, elle est revenue au galop dès la chute de l’URSS au point que Vladimir Poutine reçoit l’appui du « patriarche de l’Église orthodoxe russe » et « ancien agent du KGB » (3) dans sa guerre contre l’Ukraine et la vision libérale de l’Occident. D’autre part, le peuple russe, qui voit la grande Russie comme différente et supérieure à l’occident selon la doctrine du slavophilisme (4), soutient cette guerre civilisationnelle contre « un monde considéré comme décadent » de leur point de vue (5). Le conflit russo-ukrainien en est d’ailleurs un bon exemple, car on s’en prend en partie à l’occidentalisation de l’Ukraine qui est voisine de la Russie.


Cela en dit beaucoup sur ce combat civilisationnel entre la gauche libérale et la droite conservatrice que l’on voit poindre dans plusieurs coins du monde actuellement. Le centre se dissout malheureusement au profit des extrêmes dans ce mouvement. Bref, on peut faire des guerres, mais on ne change pas si facilement des mentalités et des cultures. Pour cela, il faut un investissement hors du commun et les États-Unis n’ont jamais le temps de le faire au final. Ils promettent donc d’instaurer la démocratie, mais démissionnent rapidement face à la facture, préférant laisser un pays ou un peuple dans la misère dès qu’il est hors d’état de nuire à leurs intérêts.


Marx avait-il raison de dire que le changement nécessite des conditions et qu'on ne peut le forcer tant qu' elles ne sont pas atteintes? Je crois que oui. Par contre, on peut aider par l'éducation. Mais, faut-il encore y mettre le temps et l’argent.


Si ces guerres ne changent rien au final, sauf monter davantage de gens contre les États-Unis, on pourrait certainement mieux faire par l’humanitaire et en passant par l’ONU plutôt que par l’OTAN et les États-Unis. Ce sont là des idées que soulèvent ces entretiens entre Vijay Prashad et Noam Chomsky dans Le retrait. Un livre important qui permet de faire un bilan de la pensée de Noam Chomsky d’ailleurs; pensées certainement plus claires que celles des deux candidats à la présidentielle des États-Unis de 2024, malgré se 90 ans passés. (6)


J’y ai d’ailleurs surligné plusieurs passages et noté quantité de réflexions. Noam a beau parler des États-Unis comme du Parrain, mais n’oublions pas que la Chine et la Russie aimeraient aussi être le calife à la place du calife et les provoquent pour tester leurs limites, leurs appuis et, surtout, leurs faiblesses.


De plus, comme ces trois-là ont un droit de véto au Conseil de sécurité de l’ONU, avec la France et le Royaume-Uni, beaucoup d’initiatives qui seraient nécessaires pour civiliser notre monde et assoir ce triumvirat à sa place parfois, car ils en mènent large, sont bloquées. D’un côté, par exemple, la Russie menace l’occident d’utiliser ses armes nucléaires, mais de l’autre, quand il est proposé « d’établir une zone exempte d’armes nucléaires (ZLEAN) » au Moyen-Orient par exemple (p. 93), les États-Unis y opposent leur véto (p. 95) pour protéger Israël qui dispose de telles armes même si elles ne sont pas officiellement déclarées. Mais, « au moins le Times en a parlé » ! (p. 95)


Souvent, ce qui est accordé aux citoyens états-uniens, comme la démocratie et les droits et libertés, ne l’est pas dans la même mesure dans les pays où les États-Unis ont des intérêts politiques et économiques à défendre. Quant aux droits sociaux, ils passeront certainement en dernier, le droit social se confondant trop souvent avec le socialisme dans leur esprit.


Si, pour défendre leur position, ils doivent s’acoquiner avec un dictateur, ils le feront même s’ils aiment se présenter comme les défenseurs de la démocratie. C’est qu’entre les apparences et la réalité il y a un pas qu’ils ne font jamais : se plier à faire ce qu’ils exigent des autres ! Voici un passage éclairant sur ce sujet :


« Lorsque les États-Unis ont reconnu la compétence de la Cour internationale, ils l’ont fait à condition de ne pas être contraints par la Charte de l’ONU ou la Charte de l’Organisation des États américains (OEA). Ils l’ont indiqué dans leur déclaration d’« acceptation de juridiction » en 1946. (…) Les États-Unis ont refusé d’emblée de respecter la Charte de l’ONU ou la Charte de l’OEA et sont donc légalement autorisés à perpétrer des crimes de guerre, voire un génocide. Lorsqu’au terme d’une bataille de trente-sept ans au Sénat, ils ont signé la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en 1988, ils ont imposé une clause de réserve stipulant que ses termes « ne pouvaient s’appliquer aux États-Unis ». » (p. 112)


Cela en dit gros des États-Unis comme défenseur et porteur de la démocratie dans le monde. Ils sont d’abord tournés sur eux-mêmes (intérieur) et leurs intérêts économiques et stratégiques ! Effectivement, ils méritent les critiques de Noam Chomsky. Par contre, critiquer les États-Unis ne veut pas dire de soutenir la Chine ou la Russie comme trop de gens le font. On le sait : l’adage « les ennemis de mes ennemis sont mes amis » n’est pas toujours fiable. C’est ainsi que :


« Opposés au projet de la gauche en Afghanistan, les États-Unis ont « jauni » la guerre en recrutant massivement des forces réactionnaires afghanes et pakistanaises financées par les pétrodollars saoudiens, armés jusqu’aux dents par la CIA et d’autres agences américaines, et bénéficiant du soutien logistique de la dictature militaire et religieuse du Pakistan. » (p. 34)


Cela avait pour but de « porter atteinte à l’URSS » (p. 35). « Comme on le sait [maintenant], ils ont ensuite formé l’organisation Al-Quaïda. » (p. 36)


En fait, on ne doit pas se fier aux États-Unis pour résoudre les conflits mondiaux, car ils ont trop d’intérêts à se servir. Et, je dirais de même des deux autres chalengeurs au pouvoir états-uniens que sont la Chine et la Russie. Ces trois-là m’inquiètent.


Pour pacifier le monde, et là-dessus je suis tout à fait d’accord avec la pensée de Chomsky, il faut s’en remettre aux Nations-Unies :


« Dans ce contexte, nous évoquons dans ce livre deux formes de relations internationales : la forme américaine « d’un ordre fondé sur des règles », c’est-à-dire celles imposées par les États-Unis, et la forme onusienne d’un ordre international basé sur la Charte des Nations Unies (1945). Le parrain voudrait que le monde adopte ses règles, alors que celui-ci souhaite plutôt établir des procédures fondées sur le document qui fait l’objet d’un consensus à ce jour inégalé : la Charte des Nations Unies. » (Introduction, p. 17)


Je conclurais donc que c’est un excellent livre pour comprendre les États-Unis, ce pays qui défend la liberté, mais à condition que les autres suivent ses paramètres !


Notes


1. « Les États-Unis tolèrent mal un pays qu’ils ne peuvent intimider comme l’Europe et qui, par conséquent, n’obéit pas à leurs ordres. La Chine, désormais une puissance économique à part entière, suit sa propre voie. Voilà la « menace chinoise ». (Introduction, p. 17)


2. L'Union des républiques socialistes soviétiques a existé de sa proclamation le 30 décembre 1922 à sa dissolution le 26 décembre 1991 nous dit Wikipédia :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Union_des_républiques_socialistes_soviétiques


3. Émilie Dubreuil, Un patriarche va-t-en-guerre divise l’Église orthodoxe, Radio-Canada/Info, 18 mars 2022 :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1869884/patriarche-guerre-eglise-orthodoxe-moscou-ukraine


4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Slavophilisme


5. J’ai forgé ce passage à partir des informations contenues dans la chronique de Louis Cornellier, Guerre russe, et plus particulièrement la seconde section de cette chronique qui s’intéresse au livre de Jean-François Caron, Russkiy Mir (PUL, 2024, 110 pages), Le Devoir, 15 juin 2024 :

https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/814866/guerre-russe


6. Je corrigeais mon texte au lendemain du premier débat pour la présidentielle états-unienne entre Joe Biden (démocrate) et Donald Trump (républicain) du 27 juin 2024. Désolant de voir un Joe Biden qui avait des difficultés à suivre ce qui se passait et qui devrait bien davantage profiter d’une retraite tranquille à son âge. Quant à Donald Trump, il continue à croire ses mensonges et avait le beau jeu de les étaler face à un président qui avait l’air parfois si perdu qu’il ne répliquait même pas. Moi, je dis les pauvres états-uniens avec ces deux choix décevants ! Quand on parle du déclin des empires, c’est cela. Prémonitoire que le film de Denys Arcand : Le Déclin de l'empire américain (1986). (Voir dans les hyperliens.)







Hyperliens


Noam Chomsky


https://fr.wikipedia.org/wiki/Noam_Chomsky


https://chomsky.info/


https://www.britannica.com/biography/Noam-Chomsky



Vijay Prashad


https://en.wikipedia.org/wiki/Vijay_Prashad


Le déclin de l’empire américain


https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Déclin_de_l%27empire_américain




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