Commentaires livresques : Reconnaître le fascisme d’Umberto Eco
Commentaires livresques : Reconnaître le fascisme d’Umberto Eco
D.I., Delinkan Intellectuel, revue d'actualité et de culture, in Societas Criticus Vol. 26-03 : www.societascriticus.com
Reconnaître le fascisme
Umberto Eco
17/01/2024
Grasset/Les cahiers rouges
Paru en Italie en 1997 dans un volume d’essais intitulé Cinq questions de morale, traduit chez Grasset en 2000, Reconnaître le fascisme d’Umberto Eco est un texte d’une extrême actualité : le témoignage lucide et terrible d’un des plus grands intellectuels du XXe siècle, qui a grandi dans l’Italie de Mussolini.
Quatorze. Tel est le nombre des caractéristiques qui permettent de déterminer si une idéologie, un mouvement, une société sont fascistes, selon Umberto Eco. Il y a les plus évidentes : la haine de la culture, l’obsession du complot, le refus de l’étranger. D’autres, plus insidieuses, bénignes en apparence, aboutissent au même résultat si l’on n’y prend garde : la peur du langage complexe, l’idée d’un peuple doté d’une volonté propre, le fait de considérer les désaccords comme des trahisons.
Les sociétés démocratiques sont-elles à l’abri d’un retour du fascisme ? Non, dit Umberto Eco, qui nous met en garde contre le masque innocent que prendra le fascisme pour revenir au pouvoir. « Ce serait tellement plus confortable si quelqu'un s'avançait sur la scène du monde pour dire : « Je veux rouvrir Auschwitz, je veux que les chemises noires reviennent parader dans les rues italiennes ! » Hélas, la vie n’est pas aussi simple. » Les clefs pour débusquer et combattre une idéologie mortifère [sont donc importantes à saisir, dirais-je].
Commentaires de Michel Handfield, M.Sc. sociologie (2024-07-11)
La pagination utilisée ici est celle de la version électronique de Kobo sur mon cellulaire, soit :
Couverture (1 sur 1)
Page de titre (1 sur 1)
Umberto Eco/Reconnaître le fascisme (p.1 sur 5)
Note de l’éditeur (1 sur 1)
RECONNAÎTRE LE FASCISME (1 sur 1 pour la page titre; 1 sur 23 pour le texte; et 1 sur 1 pour une note.
Quelques Cahiers rouges
Du même auteur
Page de copyright
Ci-bas, une prise d’écran d’une de ces pages du livre soit la « Page 2 sur 5 » de ce que j’appellerais l’introduction. J’avoue que ça fait un peu particulier quand on veut faire une citation. :)
J’aime bien le livre électronique, mais j’ai constaté deux défauts de cette lecture sur Kobo par rapport à Play livres de Google. D’abord, le surlignage apparait sur l’appareil sur lequel j’ai lu le livre, mais pas sur les autres appareils, comme mon ordinateur, contrairement à Play livres, où ma lecture et mes notes sont synchronisées peut importe l’appareil que j’utilise. Ensuite, je ne peux pas prendre de notes dans l’application de Kobo contrairement à ce que je peux faire avec Play livres (Google). Par contre, Kobo offre un bon choix de livres à prix intéressant. Ceci étant dit, passons au cœur du sujet : l’intérêt de ce livre.
« Reconnaître le fascisme est un discours prononcé par Umberto Eco le 25 avril 1995 pour les cinquante ans de la libération de l’Europe. » (Umberto Eco/Reconnaître le fascisme, p. 4 sur 5)
Ayant vécu sous le fascisme, cette plaquette d’Umberto Eco nous le fait donc connaitre de l’intérieur. En cette période de la montée des extrêmes, c’est un livre sur lequel porter notre attention pour bien comprendre ce qu’il en est du fascisme ou plutôt des fascismes, car il peut prendre plusieurs formes. À ce sujet, je cite cette présentation qu’on en fait en introduction :
« Il y eut un seul nazisme, et l’on ne peut nommer nazisme le phalangisme hypercatholique de Franco, puisque le nazisme est fondamentalement païen, polythéiste et antichrétien, sinon ce n’est pas du nazisme. Au contraire on peut jouer au fascisme de mille façons, sans que jamais le nom du jeu change. […] Le terme fascisme s’adapte à tout parce que même si on élimine d’un régime fasciste un ou plusieurs aspects, il sera toujours possible de le reconnaître comme fasciste. Enlevez-lui l’impérialisme et vous aurez Franco et Salazar; enlevez le colonialisme et vous aurez le fascisme balkanique. Ajoutez au fascisme italien un anti-capitalisme radical (qui ne fascina jamais Mussolini) et vous aurez Ezra Pound. Ajoutez le culte de la mythologie celte et le mysticisme du Graal (totalement étranger au fascisme officiel) et vous aurez l’un des gourous fascistes les plus respectés, Julius Evola. » (Umberto Eco/Reconnaître le fascisme, p. 5 sur 5)
Je mettrais par contre un bémol sur le nazisme « fondamentalement païen » ayant lu Le nazisme comme religion. (1) Ceci étant dit, revenons à Eco qui a connu le fascisme dans sa jeunesse :
« En 1942, à l’âge de dix ans, j’ai remporté le premier prix aux Ludi Juveniles (un concours à libre participation forcée pour jeunes fascistes italiens – lisez pour tous les jeunes Italiens). (…)
Puis, en 1943, je découvris le sens du mot Liberté. » (p. 1 sur 23)
Mais, pour qui, à l’inverse, passe de la liberté - qui n’est jamais absolue, car ce serait le chaos sans certaines règles (2) - au fascisme, est-il aussi simple de le remarquer ? Je n’en suis pas certain.
On peut trouver que, pour des raisons de morale, de foi, d’éthique, de correction des erreurs du passé ou de pure rationalité, il nous faut revenir à certaines valeurs oubliées ou en créer de nouvelles et le glissement vers le fascisme se fait alors de façon naturelle. On ne le sent pas, mais il est là que ce soit pour expier des erreurs du passé (extrême gauche) ou pour se protéger des menaces que représentent le mondialisme, l’immigration et toutes ces nouvelles idées que sont la fluidité et les identités de genre qui nous effaceront comme le croient certains. On peut penser ici à la frange extrémiste de gauche qui veut réécrire l’histoire et punir l’homme blanc pour les abus qu’il a commis dans le passé ou à la frange extrémiste de droite qui sort des livres des bibliothèques et des écoles au nom de sa morale et les brule. Bref, comme on peut perdre le nord, on peut aussi perdre le centre aux dépens des extrêmes : fascisme de gauche comme de droite !
On pourra toujours dire que le fascisme ne peut être de gauche, mais le stalinisme n’était-il pas une forme de fascisme de gauche? (3) D’ailleurs, comme le souligne Eco dans ce livre : « il serait difficile de les voir revenir sous la même forme dans des circonstances historiques différentes. » (p. 5 sur 23) Je crois donc qu’un fascisme de gauche est possible aujourd’hui, car LE FASCISME EST MODELABLE :
« Le terme fascisme s’adapte à tout parce que même si l’on élimine d’un régime fasciste un ou plusieurs aspects, il sera toujours possible de le reconnaître comme fasciste. » (p. 13 sur 23)
Voilà qui est dit, mais cela le rend difficile à traquer, car on peut à la fois présenter des lois sociales pour les travailleurs et des mesures contre les immigrants ou les réfugiés en même temps, les présentant comme les porteurs d’une menace ou d’une concurrence déloyale face aux travailleurs locaux par exemple.
On saisit rapidement, à la lecture de ce livre, que le fascisme est difficile à cerner. Mais, devrait-on le sentir venir ? Je ne suis pas sûr, car où certains verront du fascisme d’autres ne verront qu’un resserrement des règles. Mais, comme il n’y a pas de règles claires pour déterminer ce qu’est le fascisme, nous dit en substance Umberto Eco dans ce passage, un tel livre est donc nécessaire :
« En dépit de cet imbroglio, je crois possible d’établir une liste de caractéristiques typiques de ce que je voudrais appeler l’Ur-fascisme, c’est-à-dire le fascisme primitif et éternel. Impossible d’incorporer ces caractéristiques dans un système, beaucoup se contredisent réciproquement et sont typiques d’autres formes de despotisme ou de fanatisme. Mais il suffit qu’une seule d’entre elles soit présente pour faire coaguler une nébuleuse fasciste. » (p. 13 sur 23)
Voici donc la dénomination de ces caractéristiques à reconnaitre d’après Umberto Eco, avec les pages couvertes pour chaque point (entre parenthèses). Mais, la dénomination citée ici est toujours à la première page citée. Alors si un point couvre deux pages (pp. 17-18 sur 23 par exemple) le point cité est à la page 17.
1. La première caractéristique d’un Ur-fascisme, c’est le culte de la tradition. (pp. 14-15 sur 23)
2. Le traditionalisme implique le refus du modernisme. (p. 15 sur 23)
Ironique, je dirais que le Ministère de la Santé du Québec est « fasciste », fonctionnant au fax (télécopieur) malgré tous les changements technologiques qu’il y a eu depuis !
3. L’irrationalisme dépend aussi du culte de l’action pour l’action. (p. 16 sur 23)
4. Aucune forme de syncrétisme (4) ne peut accepter la critique. (p. 16 sur 23)
5. Le désaccord est en outre signe de diversité. (p.16 sur 23)
6. L’Ur-fascisme naît de la frustration individuelle ou sociale. (p.17 sur 23)
7. Quant à ceux qui n’ont aucune identité sociale, l’Ur-fascisme leur dit qu’ils jouissent d’un unique privilège – le plus commun de tous : être né dans le même pays. (p. 17 sur 23)
8. Les disciples doivent se sentir humiliés par la richesse ostentatoire et la force de l’ennemi. (pp. 17-18/23)
9. Pour l’Ur-fascisme, il n’y a pas de lutte pour la vie, mais plutôt une vie pour la lutte. (p. 18 sur 23)
Je n’en cite qu’un extrait, car il sied bien à plusieurs leadeurs populistes actuels et bien connus, mais aussi à ce que croient bien des groupes religieux qui se voient les porteurs de la bataille finale pour le retour de Jésus/Dieu :
« Toutefois, cela comporte un complexe d’Armageddon : puisque les ennemis doivent et peuvent être défaits, il devra y avoir une bataille finale, à la suite de laquelle le mouvement prendra le contrôle du monde. » (p. 18 sur 23)
Avec une telle description, le fascisme peut se cacher partout selon moi. Suffit d’écouter certains politiciens et leadeurs religieux pour le voir même là où on ne le pensait pas. Avant d’être un régime, c’est une pensée; voir un dogme, dirais-je. D’ailleurs, Umberto Eco dit à la fin de ce pamphlet que « L’Ur-fascisme est toujours autour de nous, parfois en civil. » (p. 22 sur 23) Ça dit tout.
10. L’élitisme est un aspect type de l’idéologie réactionnaire, en tant que fondamentalement aristocratique. (pp. 18-19 sur 23)
11. Dans cette perspective, chacun est éduqué pour devenir un héros. (p. 19 sur 23)
12. Puisque la guerre permanente et l’héroïsme sont des jeux difficiles à jouer, l’Ur-fascisme transfère sa volonté de puissance sur des questions sexuelles. (p. 20 sur 23)
13. L’Ur-fascisme se fonde sur un populisme qualitatif. (pp.20-21 sur 23)
14. L’ Ur-fascisme parle la « novlangue ». (p. 21 sur 23)
Bref, c’est un livre que je ne peux que recommander. Je ne sais pas s’il aide à débusquer LE fascisme, mais il permet au moins d’en voir les pelures de bananes qui peuvent nous y faire tomber si nous ne faisons pas attention, car elles peuvent se cacher partout, même sous de bonnes intentions. Sur ce point, je recommande de relire le point 9 ci-haut.
Notes
1. Harvill-Burton, Kathleen, 2006, Le nazisme comme religion. Quatre théologiens
déchiffrent le code religieux nazi (1932-1945), Québec : Presses de l’Université
Laval (www.pulaval.com), 252 pages, ISBN : 2-7637-8336-8, in Societas Criticus,
Vol. 11 no. 4, du 9 juin au 21 août 2009 :
- BAnQ : http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/bs1941494
- BAC : https://epe.lac-bac.gc.ca/100/201/300/societas_criticus/pdf/index.html
2. À ce sujet, il faut lire cette réflexion sur la liberté :
« En accordant la liberté de conscience et celle de la presse, songez, citoyens, qu'à bien peu de choses près, on doit accorder celle d'agir, et qu'excepté ce qui choque directement les bases du gouvernement, il vous reste on ne saurait moins de crimes à punir, parce que, dans le fait, il est fort peu d'actions criminelles dans une société dont la liberté et l'égalité font les bases, et qu'à bien peser et bien examiner les choses, il n'y a vraiment de criminel que ce que réprouve la loi; car la nature, nous dictant également des vices et des vertus, en raison de notre organisation, ou plus philosophiquement encore, en raison du besoin qu'elle a de l'une ou de l'autre, ce qu'elle nous inspire deviendrait une mesure très incertaine pour régler avec précision ce qui est bien ou ce qui est mal. » Sade, La philosophie dans le boudoir, Les mœurs in Cinquième Dialogue - cité dans Societas Criticus, Vol. 2, no. 4 - Hiver 2000-2001 :
- A BAnQ: https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/bs62022
- Pour BAC, voir le lien en note 1.
Ce passage me laisse croire qu’on a emprisonné le Marquis de Sade bien davantage pour ses réflexions politiques que ses écrits sulfureux. Cependant, pour ne pas attirer les regards sur ce qu’il disait de la société et de la politique, on l’a accusé pour ses écrits plus sexuellement explicites. Alors, tous les curieux n’ont lu que ses passages les plus sulfureux et n’ont jamais vu l’essentiel de sa critique politique. Malheureusement, car elle m’est apparue intéressante pour ce que j’en ai lu.
3. Umberto Eco répond en partie à ma question plus loin :
« Si par totalitarisme, on entend un régime qui subordonne tout acte individuel à l’État et son idéologie, alors nazisme et stalinisme étaient des régimes totalitaires.
Il ne fait aucun doute que le fascisme était une dictature, mais il n’était pas complètement totalitaire, non point à cause d’une sorte de tiédeur, mais en raison de la faiblesse philosophique de son idéologie. » (p. 7 sur 23)
4. Voici la définition du Robert (donné par Google) pour syncrétisme :
nom masculin
1. DIDACTIQUE
Combinaison de doctrines, de systèmes initialement incompatibles.
Le syncrétisme religieux du vaudou.
2. PSYCH.
Appréhension globale et indifférenciée qui précède la perception et la pensée par objets nettement distincts les uns des autres.
Pour plus d’informations sur cette coopération entre Le Robert et Google :
https://dictionnaire.lerobert.com/google-dictionnaire-fr