Cinéma : Deux femmes en or (2025)
Cinéma : Deux femmes en or (2025)
VIOLETTE : Laurence Leboeuf
BENOÎT : Félix Moati
ÉLI : Juliette Gariépy
FLORENCE : Karine Gonthier-Hyndman
DAVID : Mani Soleymanlou
JESSICA : Sophie Nélisse
Synopsis
Violette et Florence ne comprennent plus ce qui leur arrive. Respectivement en congé de maternité et en arrêt de travail, l’une est à fleur de peau, l’autre ne ressent plus rien. Les voisines sont toutes deux habitées par un sentiment d’échec : malgré la carrière et la famille, elles ne sont pas heureuses. La première infidélité de Florence sera une révélation. Et si le bonheur, c’était de se rebeller contre notre rigide société de performance ? Dans un contexte où avoir du fun est très loin sur la liste des priorités, coucher avec un livreur est peut-être carrément
révolutionnaire. Ce sera pour Violette et Florence la bouffée d’air frais qu’elles espéraient.
Commentaires de Michel Handfield, sociologue (2025-05-30)
Mettons tout de suite une chose au clair. Si l’original se passait en banlieue avec deux femmes qui s’ennuyaient, cela se passe maintenant à Montréal (1), avec des femmes qui se remettent en question : « Qui es-tu? » comme le chante Marjo dans Provocante (2). D’ailleurs, nous aurons droit à cette chanson québécoise comme à beaucoup d’autres dans ce film. Et cela s’intègre très bien.
Ici, le sexe est bien plus qu’un moyen de lutter contre l’ennui de la banlieue et d’exprimer une nouvelle liberté sexuelle grâce à la pilule, comme dans le premier film qui marquait le début de la libération de la femme. Mais, elle était encore dépendante économiquement du mari.
En 2025, on est ailleurs. Aujourd’hui les femmes sont souvent plus éduquées que les hommes et en ont vu d’autres. Le sexe fait ici partie d’un processus beaucoup plus large de remise en question et d’un désir de se retrouver comme étant soi. Alors, ceux qui s’attendent à une nouvelle version olé olé du premier film de 1970 (3), que j’ai vu en 1977 dans mon cours de cinéma québécois (4), seront déçus, car, si l’on a des scènes de sexes, elles sont plutôt sobres et en support à leur démarche de réappropriation de leurs corps, leurs désirs et leurs vies.
Ce film, basé sur la pièce de théâtre récente que j’ai vue au TNM en février dernier, plonge dans la profondeur des personnages.
Si l’on voit assez rapidement le triangle d’amour (pubis) de Florence, une des deux voisines qui redécouvre sa libido après avoir abandonné ses antidépresseurs, ce n’est pas gratuit. Ce triangle est même très symbolique, je trouve.
Il peut rappeler le triangle dans lequel se retrouve la voisine Violette, qui ressent qu’elle est trompée dans un triangle amoureux, mais ne le sait pas encore. Ce bruit de corneille que Violette entend dans sa tête et impute à sa voisine trop bruyante en faisant l’amour en est la représentation inconsciente !
Quand elle va voir Florence pour lui dire que cette jouissance criarde d’une femme qui veut laisser savoir à tout le monde qu’elle jouit la dérange, les deux chambres étant collées sur un mur mitoyen, sa voisine lui apprend qu’elle n’a pas de libido. Aucune, depuis des années, étant sur les antidépresseurs.
Quant à Violette, c’est le calme plat du postpartum. Son extracteur de lait lui touche davantage les seins que son conjoint. Deux femmes différentes se parlent alors et viennent de se rejoindre dans le vide de leur existence.
Leur rencontre et leur amitié se développeront à partir de ce moment malaisant et leur seront bénéfiques. Ils se déniaiseront, mais pas que sexuellement. Intellectuellement surtout, car elles se questionneront sur elles-mêmes : leur être, leurs désirs, leurs rapports à la vie et les modèles qui nous sont socialement proposés. Le sexe extraconjugal fera partie de leur processus de réappropriation de leurs corps et de leurs esprits, mais ne sera pas aussi central que dans le film original. On est ailleurs en 2025.
À partir de là, j’ai vu des questions poindre autour de différents triangles de nos vies, car ce triangle (pubis) du début, quand Florence se regarde et ose un geste d’exhibition spontanée dans sa fenêtre, m’apparaissait symbolique du film. Elle s’aperçoit alors qu’elle ne contrôle plus sa sexualité, cachée sous les antidépresseurs, et qu’elle lui manque. Mais, elle, la Florence, n’est-elle pas aussi cachée sous des années de médication? Elle doit se redécouvrir pour se réapproprier sa vie.
Pour Violette, c’est un peu différent, mais ici, la femme est cachée par la mère, le désir par l’allaitement ! Sa vie de femme est absorbée par le triangle familial : mère-bébé-père. Le couple s’est perdu.
Par contre, entre avoir une idée, comme ce triangle symbolique, et l’exprimer, il y a une marge. Quel est ce triangle? Intériorité-Couple-Externalité? Amitié-Amour-Indiférence? De quoi tourner en rond, car je dirais qu’il y a plusieurs triangles dans ce film. Alors, j’ai regardé du côté de la psychanalyse et j’ai trouvé le triangle de Sternberg (5), « un psychologue et professeur de psychologie cognitive américain. » (6) Tout y est pour me sortir de cette trigonométrie psychologique.
Ces femmes seules à la maison pour des raisons différentes — l’une à cause de sa dépression, l’autre de son bébé — sont finalement mises sur la ligne de touche, personnellement et professionnellement. Messieurs en profitent pour jouer le rôle de pourvoyeur (comme c’était le cas dans les années du film original). Ils font progresser leurs carrières et s’émancipent à l’extérieur de la maison.
David le fait par son implication dans la coopérative et son intérêt pour l’environnement et l’agriculture biologique. C’est un intérêt qu’il a en commun avec Jessica, aussi très impliquée dans ce milieu.
Benoit , lui, a plutôt une aventure extraconjugale sérieuse avec Éli, une collègue de travail et de voyage d’affaires.
Leurs conjointes, confinées au logis, sont sorties de l’amour accompli pour se retrouver dans l’amour vide ! Alors, elles se referont une vie devant nos yeux.
Violette regagnera son indépendance et s’affirmera devant Benoit, qui ressentira de plus en plus la peur de la perdre. Il fera souvent des aller-retour entre sa maitresse et sa femme, vivant de plus en plus d’insécurité devant son émancipation. Il n’en sera pas à quelques retours près vers la maison, alors qu’il est en voyage, si sa femme montre de plus en plus d’assurance et de contrôle de sa vie quand elle lui parle à distance.
S’il aime sa maitresse au point de vouloir divorcer pour elle, elle lui dit carrément que ce n’est pas de l’amour dans son cas, mais du plaisir. Il est son objet sexuel et elle l’utilise. En fait, il est l’homme objet des années 2020 comme existait la femme-objet des années 1960-70. Il vit donc une grande insécurité entre une maitresse indépendante et sa femme qu’il voit s’émanciper.
Pourrait-il tout perdre, entre ces deux femmes dont il réalise qu’elles peuvent se passer de lui beaucoup plus facilement que lui ne le pourrait, car il est dépendant affectif? De quoi tomber malade.
Du côté de Florence, après des années d’inconscience, assommée par les antidépresseurs, elle sera en quête d’elle-même au désespoir de David, qui veut une vie tranquille en pantouflard qu’il est. Il avait tout compris des infidélités de sa femme et en profitait plutôt que de réagir. Pour lui, tant que les eaux sont calmes, il ne fait pas de vagues. Si on ne peut mener tous les combats, on doit quand même savoir lesquels faire. À la place, à mesure que sa femme s’émancipera, il fera plutôt la carpette. Il ira d’ailleurs jusqu’à prendre les antidépresseurs de sa femme, puisqu’elle ne les prend plus. Tel est son concept de l’équilibre : ne rien changer et faire comme si ça n’existait pas. Si le moment se présente, il sera une prise facile pour Jessica, qui partage avec lui le gout de l’environnement et du jardinage. Il se laissera faire et se pliera à sa volonté, c’est clair.
Je pourrais continuer ainsi longtemps, car il y a beaucoup de caractères dans ce film d’observation sociale à qui y regarde de près. Certains personnages parlent peu et semblent faire partie du décor, comme une voisine (blonde) qui semble bien observer le manège de Violette et Florence et tout ce qui se passe autour. Et, que dire des assemblées des membres de la coopérative, qui nous en dit beaucoup sur ces gens et le milieu ? Bref, un film qui a beaucoup plus de profondeur que ce que certains critiques y verront.
Notes
1. Ils habitent dans la Coop du Coteau Vert : « Située dans le quartier Petite-Patrie, la coopérative est bordée par le métro Rosemont et son terminus d’autobus, la piste cyclable des Carrières, la nouvelle bibliothèque Marc-Favreau... » Je vous invite à consulter leur site internet : https://coteauvert.com/
2. https://youtu.be/XvxETUJ3LhY?si=6B3J9PnsFBIo8PID
3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Deux_Femmes_en_or_(film,_1970)
4. J’ai eu ce cours au Collége Marie-Victorin (cégep) avec Gilles Blain, comme professeur. Voir https://bib.umontreal.ca/collections/speciales/litterature-francaise/collection-gilles-blain
5. https://fr.wikipedia.org/wiki/Triangle_de_Sternberg
6. https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Sternberg