Kukum (TNM)

 Kukum (TNM)


D.I., Delinkan Intellectuel, revue d'actualité et de culture, in Societas Criticus Vol. 26-05 : www.societascriticus.com


De Michel Jean

Adaptation théâtrale Laure Morali

Avec la collaboration de Joséphine Bacon

Mise en scène Émilie Monnet


Théâtre du Nouveau Monde (https://tnm.qc.ca/) en coproduction avec Onishka (https://onishka.org/)


Partager le destin innu


Parfois dans la vie d’une nation, arrive à point nommé une œuvre qui, grâce à l’émotion qu’elle suscite, entraîne une prise de conscience collective et transforme les mentalités. Ainsi en est-il de Kukum, le roman de Michel Jean publié en 2019 et dont les répercussions ne cessent de s’étendre. En imaginant son arrière-grand-mère se remémorer sa vie, l'auteur nous fait intimement ressentir l’intense accord du mode de vie nomade des autochtones avec les terres, les rivières et les forêts, puis la brutale spoliation de leurs territoires, leur sédentarisation forcée dans des réserves et le rapt de leurs enfants pour les enfermer dans de lointains pensionnats.


Au début du vingtième siècle, sur les bords du majestueux Pekuakami – rebaptisé Lac Saint‑Jean – une orpheline blanche de quinze ans s’éprend d’un Innu, Thomas Siméon. Quittant l’étouffante vie de colons de son oncle et de sa tante, elle est accueillie bras et cœurs ouverts par sa nouvelle famille dont elle adopte la langue et les migrations annuelles. Chaque automne, la famille Siméon embarque dans ses longs canots pour accéder à ses territoires de chasse par la somptueuse rivière Péribonka. Mais à la fin d’un été, Almanda et le clan Siméon trouvent la rivière bloquée par des milliers et des milliers de troncs d’arbres et aperçoivent au loin les montagnes de leur territoire massacrées par des coupes à blanc… Sans parler de ces hommes qui leur affirment qu’ils ne sont pas chez eux.


L’adaptation théâtrale de l’écrivaine Laure Morali, avec la collaboration de la grande poète innue Joséphine Bacon, sera interprétée par une éclatante distribution d'acteurs et d'actrices autochtones, ainsi que par Léane Labrèche‑Dor dans l’émouvant rôle d’Almanda.


À la mise en scène, le TNM est fier d’accueillir l’artiste interdisciplinaire d'origine anishinaabe et française Émilie Monnet, la créatrice d’Okinum et de Marguerite : le feu, programmée par le prestigieux Festival d’Avignon en 2023.


Pour plus de détais : https://tnm.qc.ca/2024-2025/kukum


Commentaires de Michel Handfield, M.Sc. sociologie (2024-11-22)


« Faire des ponts » semble une expression de notre décennie postpandémique. On entend souvent cette expression dans les médias, car, après que chacun fut confiné chez soi au début de la pandémie de COVID-19, on cherche maintenant à rétablir des liens entre les individus et les communautés. Pourtant, ce n’est pas nouveau. J’y reviendrai en postface, car cette expression me touche personnellement.


Il nous faut maintenant faire des ponts avec l’autre pour avancer. À droite, on mise sur l’intégration à la culture commune; à gauche sur le multiculturalisme; et au centre sur l’interculturalisme. Expression d’un nouvel humanisme, il faut au moins rallier les cultures qui partagent déjà un même territoire. Refaire le chemin contraire du colonisateur qui imposait sa culture comme étant la seule rationnelle ! Bref, il nous faut déconstruire « le principe sur lequel les puissances impériales ont de tout temps assis leur domination : diviser pour régner. » (1)



Si ce principe semble nouveau, à défaut de ponts, il y a toujours eu quelques chemins de traverse, dont des mariages interculturels entre Canadiens français et autochtones.

C’est ce dont nous parle la pièce Kukum au TNM : l’arrière-grand-mère de Michel Jean avait marié un autochtone et il raconte cette histoire en lui donnant une voix, portée avec talent par Léane Labrèche-Dor dans le rôle d’Almanda. (2) Par la même occasion, on en apprend davantage sur cette culture qui nous apparait étrangère même si l’on partage le même territoire. C'est que l’on s’est certainement davantage côtoyé sous le régime français que Britannique, même si, avec le temps, on l’a oublié. De voisins, coopérants et partenaires, on est devenus étrangers et indifférents.


Cette pièce nous fait replonger un orteil dans la culture autochtone; revoir l’avancée du capitalisme anglo-saxon qui a forcé la réclusion des autochtones dans des territoires de plus en plus circonscrits, dû à l’exploitation des ressources naturelles (particulièrement de la forêt) et des mines; l’éveil économique des Canadiens français, avec la construction des grands barrages à partir du tournant des années 1960 (3); puis, enfin, du lien originel perdu avec les autochtones dont parlait le documentaire QUÉBÉKOISIE en 2013 (4), même si le métissage entre les Canadiens français et les autochtones relève plutôt du mythe anthropologique (5) que de la réalité génétique (6).


Bref, on les a symboliquement effacés avec le temps. Par contre, par la culture, notamment la chanson au départ (7), des liens se sont tranquillement refaits depuis. Du chemin reste à faire, mais les ponts sont rétablis et c’est tant mieux.


Postface : Faire des ponts.

Je ne revendiquerais pas la paternité de cette expression, mais « Faire des ponts entre les gens… pour redonner Sa place au Citoyen ! » était mon slogan électoral en 1998, alors que je me suis présenté comme conseiller municipal indépendant dans le district de François-Perrault à Montréal.



De cette expérience, même si je ne fus pas élu, est né Societas Criticus, car, après cette élection j’ai planché pour transformer mon site internet de delinkanpolitik à Societas Criticus, encouragé par un bon ami qui fut mon coéditeur de nombreuses années : Gaétan Chênevert. On voit bien d’où est née ma signature de Délinkan Intellectuel, qui coiffera ensuite notre section culturelle.


Notes


1. Stephen A. Marglin, Origines et fonctions de la parcellisation des tâches, in André Gorz, Critique de la division du travail, Point Politique, 1973, p. 53


2. Dans le cas de ma famille maternelle, il y a eu une histoire du genre avec une très arrière-arrière-grande tante, probablement mariée dans les années 1870, selon mes dernières recherches sur internet. J’en avais parlé dans mon commentaire sur le film Hero by Nature (L’Âme d’un héros), de Roger CANTIN, in Societas Criticus, Vol. 8 no. 2 (2006) :

https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/61248?docref=AVNs8-yeFNCs0b3Yl7Vh2g


Ou à BAC : https://epe.lac-bac.gc.ca/100/201/300/societas_criticus/

3. Le projet Manic-Outardes a débuté en 1959 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Projet_Manic-Outardes


4. QUÉBÉKOISIE, in Societas Critiicus, Vol. 16 no 2 :

https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/61248?docref=3rdxxIJKTkUywRlhWJGajw


Ou à BAC : https://epe.lac-bac.gc.ca/100/201/300/societas_criticus/


5. Dans la description de ce film, on écrivait ceci :


« D’où vient cette méconnaissance des Autochtones, alors que des études montrent sans doute que plus de la moitié des « Canadiens français » ont au moins un ancêtre amérindien? » https://mofilms.ca/fr/boutique/quebekoisie/


Vous trouverez aussi cette présentation dans notre critique du film, car nous plaçons souvent les documents de presse avant nos commentaires. Voir nos liens en note 4.


Ce film est aussi disponible pour visionnement sur le site de l’ONF : https://www.onf.ca/film/quebekoisie/


6. Par contre, quand on parle du métissage des Canadiens français avec les autochtones, la recherche génétique récente ne va pas dans le sens d’un si grand métissage :


« The first 2600 French settlers contributed two-thirds of the French Canadian gene pool (18). French settlers occupied territory inhabited and used by First Nations for thousands of years (19). Despite folk histories implying large amounts of Indigenous ancestry among French Canadians (20), genetic and genealogical studies show that French Canadians born in Quebec carry on average<1% of ancestry tracing back to Indigenous populations, with the rest being mostly attributed to French ancestry (21). » Luke Anderson-Trocmé, Dominic Nelson, Shadi Zabad et al., HUMANGENETICS : On the genes, genealogies, and geographies of Quebec, Science, 380, 26 may 2023, p. 849.


Pour les notes dans cette citation :


18. H. Charbonneau et al., The First French Canadians : Pioneers in the St. Lawrence Valley (Univ. of Delaware Press, 1993).


19. Aboriginal and Northern Affairs Canada, First Nations in Canada (2013) : https://www.rcaanc-cirnac.gc.ca/eng/1307460755710/1536862806124#chp0


20. Y. Beauregard, Cap-aux-Diamants 34,38–42 (1993).


21. C. Moreau et al., PLOS ONE 8, e65507 (2013).



7. Je pense ici au groupe Kashtin qui a percé le marché de la radio à la fin des années 1980. Voir :


- Leur vidéo sur YouTube : https://youtu.be/yiMrFf3-FLk?si=UQDJUxLjKrVzYDFW


- https://fr.wikipedia.org/wiki/Kashtin



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