Enigma (Opéra)

 

Enigma (Opéra)


D.I., Delinkan Intellectuel, revue d'actualité et de culture, in Societas Criticus Vol. 26-02 : www.societascriticus.com


Patrick Burgan & Éric-Emmanuel Schmitt


Résumé


Connaissez-vous vraiment la personne que vous aimez? Dans cet opéra inspiré de la pièce d’Éric-Emmanuel Schmitt, Variations énigmatiques, et dont la musique a été composée par le français Patrick Burgan, l’intrigue psychologique nous plonge au cœur d’un étrange triangle amoureux où la tension est palpable. À huis clos, les deux ténors québécois Antoine Bélanger et Jean-Michel Richer sont accompagnés par I Musici de Montréal. Il s’agit d’une première coproduction de l’Opéra de Montréal avec une compagnie européenne.


Opéra en deux actes

Création : 2022 - Lorraine, France

Livret : Éric-Emmanuel Schmitt

Langue : En français avec surtitres français et anglais

Durée : 2h30 (incluant 1 entracte de 25 minutes)


Argument

Tiré du programme complet :https://www.operademontreal.com/programmes


Acte 1


Nous sommes dans le bureau d’Abel Znorko, prix Nobel de Littérature, qui vit seul, retiré à Rösvannöy, une île située sur la mer de Norvège.


Dehors retentissent deux coups de feu, suivi d’un bruit de pas rapides. Un homme, Erik Larsen, entre en courant, essoufflé et effrayé. Abel Znorko pénètre à son tour dans le bureau et Larsen lui explique qu’il a échappé de peu à un tir d’arme à feu. L’écrivain lui répond qu’il l’a en effet raté.


Larsen explique qu’il est journaliste et que Znorko a accepté de le recevoir pour une interview. Larsen souhaite le questionner sur son plus récent ouvrage, L’Amour inavoué, une correspondance amoureuse d’une quinzaine d’années entre un homme et une femme, dédicacée à H.M. : est-ce autobiographique? L’écrivain répond que non et qu’il déteste l’amour. Devant le déni puis le mutisme de ce dernier, Larsen sort. On entend de nouveau deux coups de feu, suivi du retour de Larsen, furieux.


Znorko demande au journaliste de lui parler de son village de Nobrovsnik, qu’il évoque dans son livre, mais n’aurait pas visité. Une femme prénommée Hélène, professeur de lettres à Nobrovsnik, lui aurait envoyé quelques lettres. Larsen la connait-il? Est-ce à elle que Znorko a dédicacé son roman? Znorko lui assure que non, que l’ouvrage est dédicacé à son éditeur. Larsen menace alors de mettre un terme à l’entretien, à moins que l’écrivain ne livre des informations justifiant l’article : qu’il a vécu à Nobrovsnik et qu’il y a connu la femme de sa vie. En échange d’une lettre à lui remettre, Znorko accepte de raconter la vérité.



Acte 2


Larsen montre à Znorko l’acte d’état civil de son mariage, remontant à douze ans. Il y aurait donc deux faces à sa femme Hélène : celle qui a connu la passion avec Znorko, et celle qui a connu l’amour avec Larsen. Znorko explose, il accuse le journaliste d’avoir interdit à Hélène de répondre à ses courriers depuis quatre mois. Il ne comprend pas comment Hélène a pu lui cacher sa vie avec Larsen et demande à celui-ci de lui dire qu’elle n’existe plus pour lui.


Mais Larsen ne peut pas le lui dire, la raison étant qu’Hélène est morte, après une agonie de trois mois. Bouleversé, l’écrivain est pris de remords et se culpabilise de n’avoir pensé qu’à son livre. Larsen lui propose de l’accueillir à Nobrovsnik, avec plaisir, à la maison. Mal à l’aise, Znorko lui dit qu’il accepte de venir, mais pour Hélène, pas pour lui, et qu’ils ne seront jamais amis.


Larsen avoue qu’il n’a jamais été journaliste et apprend à Znorko qu’Hélène est décédée il y a dix ans. Il lui explique qu’ayant découvert ses lettres, il a décidé de se substituer à Hélène et d’écrire à Znorko à sa place. Ainsi, elle continuait de vivre à travers cette correspondance, rendant les deux hommes heureux. Larsen veut savoir pourquoi Znorko l’a publiée. Il découvre alors que Znorko souhaitait revoir Hélène après avoir appris qu’il était lui-même atteint d’un cancer pour lequel il refuse de se faire soigner. Devant le refus d’Hélène, il a alors décidé de publier leur correspondance dans l’attente de sa réaction. Larsen propose à Znorko de rester auprès de lui, mais celui-ci lui demande de partir. Larsen dit qu’au début il n’aimait pas l’écrivain, mais qu’il a fini par découvrir en lui une petite flamme : la peur de la vie et de l’amour. Znorko a une dernière chose à lui dire : il lui écrira.




ORCHESTRE DE CHAMBRE I MUSICI DE MONTRÉAL

CHOEUR DE L'OPÉRA DE MONTRÉAL



SCÉNOGRAPHIE & ÉCLAIRAGES Patrick Méeüs

COSTUMES Dominique Louis

COPRODUCTION Opéra-Théâtre de Metz Métropole, Opéra de Montréal



Commentaires de Michel Handfield, M.Sc. Sociologie (2024-04-14)


Débusquer la vérité ! Mais, quelle vérité? En fait, qu’est-ce que la vérité? Si elle est triste et inquiétante et le mensonge plus satisfaisant, alors, croyons ce dernier.


Du second acte, je n’ai pas fait une lecture portant exclusivement sur l’amour, mais une lecture portant surtout sur la manipulation, voire l‘automanipulation, de la vérité ! C’est qu’on peut s'auto-influencer (autosuggestion) pour conserver vivant quelque chose qui n’existe plus ou n’est plus possible par exemple. Mais, cela peut aussi nous rendre vulnérables. Voilà donc mon angle pour ce commentaire, car je le trouve en concordance avec le monde d’aujourd’hui, où croire devient plus important que la vérité, car le réel nous inquiète tel qu’il est. On veut donc le nier : « fake’s news ». Un moyen de protection, comme pour Larsen qui faisait vivre Hélène à travers sa correspondance avec Znorko.


En relations humaines tout cela est possible. Facilement possible à qui sait jouer avec les codes et les cordes sensibles de l’humain. C’est pourquoi la manipulation fonctionne toujours pour qui sait s’y prendre. Et, c’est encore plus facile de nos jours, caché derrière un clavier. On ne voit pas la personne qui écrit. Il suffit que la victime soit consentante pour que la tromperie fonctionne.


Voilà le sens de cet opéra, où la correspondance entre Abel Znorko, prix Nobel de littérature, et Hélène prenait plus de place dans la vie d’Abel que la réalité dont il était ignorant; soit qu’Hélène était morte depuis des années et que c’était, son mari, Larsen, qui continuait cette correspondance pour la faire survivre. Cette fiction guidait leurs vies. Ils en étaient devenus prisonniers. Larsen aurait pu faire chanter ou détruire Abel s’il l’avait voulu. Et, ici on n’était que dans la correspondance.


On peut imaginer la force destructrice que cela peut maintenant atteindre avec l’internet, les réseaux sociaux, les images de création et l’Intelligence artificielle avec lesquels l’on peut créer de toutes pièces des êtres virtuels capables d’émotions et de (fausses) relations à distance. Vous faire croire à une découverte de vos corps respectifs avec une caméra branchée sur le réseau (web cam) alors que l’un des deux n’est pas une véritable personne, mais bien un être pixelisé.


Imaginez ce qu’on peut ensuite faire avec cette trame soi-disant privée de votre vie, mais qui n’était qu’un piège virtuel. Vous soutirer de l’argent; afficher vos phantasmes; ou vous demander des secrets d’État ou des codes nucléaires si vous y avez accès. Fabulation? Non, pas vraiment. On en est là.


Cet opéra, qui, sur le coup, peut nous apparaitre moyen dans sa facture est, quand on y réfléchit bien, une mise en garde sur la facilité avec laquelle on peut manipuler des gens consentant à croire, peu importe que ce soit au nom de l’amour ou d’une idéologie. Toute vraisemblance avec des mouvements politiques et la géopolitique actuelle n’est que le fruit du hasard, mais non moins possible et dangereux !


La vraie énigme : Quand on veut croire, on croit, même face aux faits !


« () la croyance forte ne prouve que sa force, non la vérité de ce
que l'on croit.
 » (1)


Pourquoi?


L’exemple de Donald Trump



Combien croient encore que Trump défend les ouvriers et la classe moyenne, mais surtout pas l’élite économique. Pourtant, dans une récente campagne de financement pour la candidature du républicain aux élections de 2024, « [d]'après The Washington Post, chaque place à la table de Donald Trump a été facturée 814 600 $. » (2) On est loin des soupers spaghetti et du financement populaire ! Et que dire des milliardaires qui reviennent au Parti républicain par peur d’une hausse des impôts avec l’administration Biden :


« The shift reflects many conservative billionaires’ fears of President Biden’s tax agenda, which if approved would drastically reduce their fortunes. » (3)


Mais, Trump est toujours capable de se définir comme l’ami des pauvres et de la classe moyenne; près des chrétiens évangéliques (fondamentalistes), dont certains croient qu’il fut choisi par Dieu (4); d’être contre une amélioration du filet de protection sociale; de définir toutes assurances maladie comme étant du communisme et de dépeindre les démocrates comme les amis de l’élite économique alors que lui est l’ami de la classe moyenne et des plus petits; l’élu attendu par les chrétiens évangéliques (fondamentalistes) pour redresser les États-Unis et probablement le monde à leur idée.


Assez dangereux, merci.



Parfois, il suffit que des fidèles le répètent pour que la rumeur se répande !


On le voit couramment, que ce soit avec des thérapies miracles, comme de toucher la personne pour qu’elle soit guérie; des placements qui rapportent de façon mirobolante, comme ce fut le cas avec la société d’investissement de Bernard Madoff (5); ou de se dire la meilleure avocate sur les réseaux sociaux, comme la mère de famille « qui arnaquerait des Québécois en ligne en se présentant avec une fausse identité d’avocate » nous apprend Le Journal de Montréal du 12 avril. (6)


On aime croire sur parole, on le voit tous les jours sur les réseaux sociaux


Combien de fois je vois des messages de ce genre sur Facebook :


Le mois de XXXX a 5 vendredis, 5 samedis et 5 dimanches cette année. Ça n’arrive qu’une fois tous les 623 ans (ou autres nombres faramineux pour nous impressionner). Faites circuler ce message et vous recevrez un montant d’argent ou vos vœux seront exaucés par exemple, car il circule différentes variantes de ce message !


Mais, qui vérifie le calendrier, car cette année c’est peut-être un autre mois, ce message circulant depuis des années. En plus, qui regarde un calendrier verra que c'est fréquent dans les mois de 31 jours d'avoir une séquence de 5 semaines dans le même mois, avec 3 jours qui se suivent 5 fois, soit 4X7 jours, pour 28 jours, plus 3 jours. Il faut juste consulter un calendrier pour comprendre le principe. Mais, ils sont peu nombreux à le faire, car il est plus facile de partager et de croire qu’on aura la chance de notre côté que de prendre le temps de consulter un calendrier. Puis, qui ne risque pas ne gagnera rien. Alors, on partage ! Voilà sur quoi s’appuie la manipulation : le consentement par défaut, ce qui nous conduit à...


La conclusion


« Larsen dit qu’au début il n’aimait pas l’écrivain, mais qu’il a fini par découvrir en lui une petite flamme : la peur de la vie et de l’amour. Znorko a une dernière chose à lui dire : il lui écrira. » (Argument, Acte 2)


Notes


1. J’ai noté cette citation dans le métro de Montréal, le 8 février 2010. Elle n’avait comme signature qu’un site internet (metrocogito.com) qui n’existe plus depuis longtemps. Je l'ai ensuite retrouvé dans Nietzsche, F., 1995,
Humain, trop humain, Paris : Le livre de poche, Classiques de la
philosophie
, 15e pensée du premier chapitre, Des choses
premières et dernières
, p. 45, mais elle est beaucoup plus longue
que cette seule phrase.


2. Agence France-Presse, Trump récolte 50 millions de dollars, plus que Biden, lors d’une levée de fonds remarquée, Radio-Canada, 6 avril 2024 :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2062932/elections-trump-don-financement


« Giving $814,600 gets a seat at Trump’s table. » Josh Dawsey, Jeff Stein, Michael Scherer and Elizabeth Dwoskin, Many GOP billionaires balked at Jan. 6. They’re coming back to Trump, The Washington Post, March 29, 2024 :

https://www.washingtonpost.com/politics/2024/03/29/trump-billionaires-gop-donors/


3. Josh Dawsey, Jeff Stein, Michael Scherer and Elizabeth Dwoskin, Ibid.


4. Il faut lire Jean-François Lisée, Le choix (de Dieu) en Iowa, Le Devoir, 17 janvier 2024 :

https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/805442/chronique-choix-dieu-iowa


Et voir la vidéo « God made Trump » :

https://youtu.be/lIYQfyA_1Hc?si=q5WUUKnLlDDF9WSX


5. https://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_Madoff


6. FRANCIS PILON, [EN PHOTOS] Enquête sur Megan Lalonde: la véritable identité de la fausse avocate révélée, Le Journal de Montréal, vendredi, 12 avril 2024 :

https://www.journaldemontreal.com/2024/04/12/en-photos-enquete-sur-megan-lalonde-la-veritable-identite-de-la-fausse-avocate-revelee





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