Lysis (TNM)

 Lysis (TNM)


D.I., Delinkan Intellectuel, revue d'actualité et de culture, in Societas Criticus Vol. 26-03 : www.societascriticus.com


Une création de Fanny Britt et Alexia Bürger;

Une mise en scène de Lorraine Pintal;

Du 7 mai au 1er juin 2024;

1 h 50 sans entracte.


Ce jour où les femmes disent non.


À l’ère des dénonciations d’abuseurs puissants, des contrecoups pour briser #metoo, du patriarcat toujours glorieusement capitaliste et des manques d’équité qui perdurent, Lorraine Pintal, en dépit des aléas de la pandémie, a tenu à offrir au public cette féroce, mais nécessaire fiction à grand déploiement où des femmes d’aujourd’hui prennent les grands moyens pour mettre fin à la perpétuation d’un pouvoir aussi injuste qu’hégémonique. Ses inspirations ? La grève des femmes dans Lysistrata écrite à Athènes par Aristophane il y a presque 2 500 ans. Et la colère dévastatrice d’Électre que Sophocle a créé à la même époque.


Le pays est paralysé : les femmes en ont assez et elles ont pris d’assaut les rues avec la puissance tellurique d’un tremblement de terre, réclamant justice. Leur arme : la grève de la reproduction. À la tête du mouvement : Lysis, chercheuse pour une grande corporation aux dirigeants cravatés, mais militante clandestine de longue date. Alors que le gouvernement vote une loi spéciale, qu’une milice masculiniste passe à l’action et que le patron de Lysis devient une cible, cette dernière vit tous les déchirements que provoque son engagement : avec son amoureux, ses collègues, sa cellule militante, ses amies. Et si de toutes ces luttes naissait un espoir ?


Pour cette création sur des enjeux criants, Lorraine Pintal, toujours aussi engagée comme femme et comme artiste, a fait appel à deux redoutables dramaturges investies dans les débats actuels : Fanny Britt et Alexia Bürger. Afin de donner toute son ampleur à cette production d’une exceptionnelle envergure, elle a rassemblé dix-sept interprètes de tous horizons, dont l’électrisante Bénédicte Décary en Lysis. Sur scène, trois musiciennes interprèteront l’envoutante partition originale du compositeur Philippe Brault, contribuant à donner à ce spectacle sa pleine et nécessaire dimension épique.



Annick Beauvais : Une militante

Bénédicte Décary : Lysis

Steve Gagnon : Éluan

Nadine Jean : Ananké

Jacques L'Heureux : Victor Forest

Chloé Lacasse : Une militante

Salomé Leclerc : Une militante

Widemir Normil : King

Olivia Palacci : Myra

Brigitte Paquette : Adorée

Pier Paquette : Larsen

Jean-Philippe Perras : William Arès

Philippe Racine : Théo

Dominick Rustam : Christian

Sally Sakho : Atlanta

Isabelle Vincent : Cora Forest

Cynthia Wu-Maheux : Cléo


Commentaires de Michel Handfield, M.Sc. sociologie (2024-05-23)


Le tout commence autour de l’histoire d'une pilule favorisant la procréation, mais qui entrainerait des suicides. Des éléments furent-ils cachés? Si on pouvait les trouver, les prouver et les sortir publiquement, quel scandale cela ferait ! Cette pièce, publiée en 2020 (1), devait être jouée au TNM en 2022 (2), mais fut retardée à cause de la pandémie. C’est important de le dire, car la prémisse ressemble à une histoire parue sur Netflix cet hiver (2024) : Double piège, qui concerne un complot mortel autour le la fabrication de médicaments. (3) Là s’arrête la ressemblance, mais il s’agit d’une bonne série à écouter, que vous ayez vu la pièce ou non, concernant la recherche du profit et les omissions (cachoteries) qu’on peut parfois faire pour ne pas nuire au succès d’un produit qui n’est peut être pas aussi sécuritaire qu’on le dit. Et que dire quand la politique se colle à une entreprise dont on espère des investissements et des retombées économiques. A-t-on vraiment besoin d’en dire plus ?


Comme le dit Victor Forest (Jacques l’Heureux), le grand patron de la firme dans la pièce : il y a bien eu quelques suicides, mais il y en a aussi dans la population en général et chez les femmes en postpartum. (4) Alors, on ne pouvait pas conclure que c’était dû au médicament, même si la chercheuse principale, qui a travaillé sur ce médicament, s’est suicidée quand elle examinait ses résultats de recherche...


Cependant, sa fille, Lysis (Bénédicte Décary), maintenant une jeune adulte, veut comprendre et aller plus loin, car elle a certains documents de sa mère en main qui laissent croire que celle-ci savait. L’a-t-elle dit à ses patrons et s’est-elle suicidé suite à leur indifférence ou s’est-elle suicidé suite à sa découverte et le tout n’est resté qu’une rumeur dans le fond de l’air. Sans vraiment étouffer l’affaire, on n’a pas cherché plus loin non plus, car ne pas savoir devenait commode.


Lysis travaille donc pour cette entreprise dans le but de savoir et de faire éclater le scandale. Mais, ce ne sera pas facile. Il en résultera d’abord un groupuscule qui voudra porter une action symbolique : la grève de la procréation. Et, avec les médias sociaux, ce mouvement s’étendra hors frontières dans un mouvement mondial de grande portée.


Si la grève de la procréation de la part des femmes semble particulière, cela va beaucoup plus loin qu’un simple geste. Ce sera bien davantage qu’une fronde au patriarcat et au Pouvoir, mais une menace à la poursuite de l’humanité. Une sortie de crise gagnant-gagnant (win/win) sera-t-elle encore possible?


De plus, à la différence d'une grève du sexe, ici la femme se prive d'un choix (enfanter), mais sans priver l'homme d'un plaisir. Alors, certaines femmes seront tiraillées par cette idée, en commençant par Lysis qui ne dit pas qu’elle est enceinte, car elle ne voudrait pas être obligée d’avorter. C’est d’ailleurs tout son dilemme si le mouvement se poursuivait et que ça se voyait.


Se pose alors la question de la négociation, de ce que serait le compromis acceptable, ou d’aller jusqu'au bout sans ne rien céder? Demeure-t-on un mouvement revendicatif ou devient-on plus vindicatif et radical ? Des gens pourraient aller vers le terrorisme, comme Myra, plus vindicative, le fera. D’autres se sépareront du mouvement, car ils veulent le compromis acceptable. Certaines capituleront aussi, que ce soit par amour ou par attirance vers le Pouvoir.


Dans ce genre de fable, on peut penser tant aux mouvements nationalistes qu'aux grandes luttes sociales. Aux débats récurrents entre une culture nationale, où tous doivent s’insérer dans un grand tout collectif, versus celle du multiculturalisme ou de l’interculturalisme, où chacun peut y conserver sa culture dans un genre de « melting pot » non contraignant. Aux débats entre les purs et durs et les réalistes qui souhaitent faire d’un parti politique davantage qu’une plateforme d’idées, mais un parti de gouvernement.


En conclusion, mis à part la trame pharmaceutique, cette pièce nous plonge dans les oppositions de fonds sur les valeurs et les moyens de les atteindre. Le choix de tout perdre en conservant nos idéaux intacts ou de gagner des points, mais d’avoir marcher sur certains principes, même s’ils nous apparaissaient non négociables au départ. De sortir gagnant-gagnant d’une situation ou d’en sortir perdant-perdant. Bref, on est dans « l’hommerie », ou plutôt la « femmerie » ici, mais c’est un peu la même chose. Si on en était parfois plus conscient, les choses iraient-elles mieux ?


Notes


1. Fanny Britt et Alexia Bürger, 2020, Lysis, Québec/Canada : ATELIER 10

https://www.leslibraires.ca/livres/lysis-fanny-britt-9782897595104.html



2. GUILLAUME PICARD, Annulation des représentations de la pièce «Lysis», Le Journal de Montréal, mercredi, 5 janvier 2022 :

https://www.journaldemontreal.com/2022/01/05/annulation-des-representations-de-la-piece-lysis



3. Cette série est tirée d’un roman de Harlan Coben, 2019, Double piège (Fool me once en v.o.a. parut en 2016) , France : Pocket


4. Radio-Canada, La dépression post-partum liée au suicide de dizaines de mères, 30 aout 2017 :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1053024/depression-postpartum-suicide-meres



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