L’opéra Jenůfa : une leçon à retenir pour le Québec
L’opéra Jenůfa : une leçon à retenir pour le Québec
D.I., Delinkan Intellectuel, revue d'actualité et de culture, in Societas Criticus Vol. 27-05 : www.societascriticus.com
Michel Handfield, M.Sc. sociologie (2025-12-24)
La CAQ (Coalition avenir Québec ) envisage d’adopter une loi constitutionnelle pour le Québec, mais elle n’écoute pas l’opposition ni plusieurs groupes importants de la société civile. Ainsi, l’article 29 du projet de loi constitutionnelle du Québec dit que :
« L’État protège la liberté des femmes d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. » (1)
Les spécialistes de la question demandent donc au gouvernement de ne pas inclure le droit à l'avortement dans cette constitution, car d’inclure l’avortement dans cette loi ouvre paradoxalement « la porte à d’éventuelles limitations de ce droit. » (2) Dans son communiqué de presse du 3 décembre 2025, le Barreau du Québec explique très bien cet enjeu :
« Toute nouvelle législation ou modification législative pour réaffirmer nommément le droit à l’avortement comporte d’importants risques, dont le principal est d’ouvrir la porte à d’éventuelles limitations de ce droit. Le Barreau du Québec réitère que l’état actuel du droit protège adéquatement le droit des femmes de choisir l’avortement, et qu’il n’y a aucun « vide juridique » à ce sujet. « La vaste majorité des juristes spécialisés en la matière, des groupes de femmes et d’autres organisations, dont le Collège des médecins du Québec, font écho à notre recommandation de retirer cette disposition. Le Barreau du Québec invite le gouvernement à s’en remettre aux experts, à la science juridique, et aux gens spécialisés dans le domaine plutôt qu’à l’impression trompeuse de sécurité qu’amène un ajout législatif », mentionne le bâtonnier du Québec. » (2)
Mais, le gouvernement ne semble pas trop à l’écoute. J’espère que le ministre responsable de ce projet de loi, M. Simon Jolin-Barrette, a assisté à l’opéra Jenůfa de l’Opéra de Montréal, justement sur ce thème.
Dans ce drame, Jenůfa attend un enfant de son amant Števa qu’elle compte épouser. Mais, la mère s’oppose à moins que Števa ne reste sobre une année. Tout ce temps Laca, demi-frère de Števa, rageait, car il était secrètement amoureux de Jenůfa. Il lui fera finalement des avances, mais, comme elle refusera, il lui donnera un coup de couteau au visage. Jenůfa accouchera donc en secret et Števa en fiancera une autre. Kostelnička, la belle-mère de Jenůfa, prendra donc une décision pour la libérer de son fardeau. Pendant que Jenůfa dort, elle ira noyer le bébé et lui dira qu’il est mort de maladie pendant son long sommeil. (3)
Alors, limiter l’avortement ne veut pas dire moins d’avortements, mais des avortements plus dangereux et probablement des infanticides. Cela me rappelle justement d’avoir vu au moins un film et une ou deux pièces de théâtre sur ce sujet. (4) Dans Draussen am see / Perte d'équilibre (4.i) on voit justement apparaitre des dalles de ciment, forme de pierre tombale symbolique, pour y enfouir ces secrets sans jamais en parler ! (5)
Alors, mieux vaut conserver ce droit en l’état actuel du droit que de risquer de le judiciariser à nouveau en l’inscrivant dans une constitution québécoise. C’est que cette loi pourrait être modifiée beaucoup plus facilement par un gouvernement réactionnaire que de tenter d’infirmer un jugement de la Cour suprême du Canada qui date de 1988 (6) et qui a certainement fait jurisprudence depuis.
Bref, Jenůfa est un opéra pour notre temps qui voit des reculs partout sur les droits des femmes avec la montée d’une droite ultra conservatrices, religieuse et réactionnaire. De quoi faire réfléchir.
Notes
1. Projet de loi no 1. Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec, p. 10.
Pour obtenir l’ensemble des documents et des tableaux, incluant le projet de loi : https://www.quebec.ca/gouvernement/politiques-orientations/constitution-quebec
2. Barreau du Québec, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec. Le projet de constitution soulève des enjeux juridiques fondamentaux, section Réouverture des débats sur le droit à l’avortement, Communiqués, mercredi 3 décembre 2025 :
3. J’ai fait ce résumé à partir de l’Argument de l’opéra : Livret Jenůfa, Opéra de Montréal, 22, 27 et 30 novembre 2025, p. 9. J’ai assisté à la représentation du 30 novembre.
4. Deux de nos textes antérieurs en lien avec ce sujet :
4.i. Handfield, Michel, Draussen am see / Perte d'équilibre, in Societas Criticus,
Revues Internet en ligne, version archive pour bibliothèques, Vol. 11 no. 5, du 21
aout 2009 au 8 octobre 2009 (Spécial FFM) :
http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/bs1945365 (PDF)
https://epe.lac-bac.gc.ca/100/201/300/societas_criticus/pdf/2009/SCVol11no5pdf.pdf
4.ii. Handfield, Michel, LE SANG DE MICHI précédé de Négresse (théâtre), in Societas Criticus, Revues Internet en ligne, version archive pour bibliothèques,
Vol. 18 no 8, du 17 octobre 2016 au 3 novembre 2016, Textes ciné et culture :
https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/61248?docref=jh-D1202XKKyIFDAS8PjVg
https://epe.lac-bac.gc.ca/100/201/300/societas_criticus/pdf/2016/SCVol18no8FNCpdf.pdf
5. Je n’en avais pas parlé dans ma critique de Draussen am see / Perte d'équilibre (2009), mais j’en ai parlé dans ma critique du Sang de Michi et de Négresse (2016) :
« Ici, Karl mettra les restes du fœtus de Marie à la poubelle comme un déchet normal. Ça parait dur, mais dans Draussen am see (Perte d'équilibre), l’été suivant l’autoavortement de la mère on constate que le père a fait une nouvelle dalle de ciment (trottoir) au chalet. C’est là que fut enterré le fœtus naturellement. Tous le savent, mais font comme si ce n’était jamais arrivé, car on ne parle pas de ces choses-là. » (Voir 4.ii)
On voit cette dalle et tout le contexte autour de cette problématique vers 1 minute 50 de la bande-annonce du film :
www.youtube.com/watch?v=efAjFEcWvuE
6. Jugements de la Cour suprême : Sa Majesté La Reine et Le procureur général du Canada contre Morgentaler. Voir :
https://decisions.scc-csc.ca/scc-csc/scc-csc/fr/item/288/index.do
Hyperliens
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jen%C5%AFfa
Le résumé de Jenůfa de Janáček sur le site de la Place des arts
Opéra romantique
Atom Egoyan, l’un des plus grands cinéastes canadiens, mettra en scène Jenůfa, un opéra central de l’œuvre de Janáček où l’expressionnisme lie admirablement l’action dramatique et la musique.
L’excellente cheffe d’orchestre montréalaise Nicole Paiement dirigera l’Orchestre Métropolitain pour une expérience théâtrale et musicale qui ne laissera aucun spectateur indifférent.
Dans un village tchèque isolé et mené par des traditions rigides, Jenůfa, jeune femme courageuse, se retrouve plongée dans une tragédie déchirante. Enceinte de son amant volage, elle fait face au déshonneur imminent. La redoutable Kostelnička, garante de la moralité du village, commet l’irréparable afin de protéger la réputation de la famille. Un drame intemporel où la lumière rédemptrice jaillit des ténèbres du désespoir.
Langue : Tchèque, sous-titré en français et en anglais
Artistes :
Interprétation :
Marie-Adeline Henry (Jenůfa), Katarina Karnéus (Kostelnička), Edgaras Montvidas (Laca), Isaiah Bell (Števa), Mikelis Rogers (Stárek), Sydney Frodsham (Stefania Buryja), Colin Mackey (Rychtar - Maire), Camila Montefusco (Rychtarka - Mairesse), Tessa Fackelmann (Karolka), Justine Ledoux (Pastuchyna), Bridget Esler (Barena), Odile Portugais (Jano), Ellita Gagner (Tetka)
Mise en scène : Atom Egoyan
Cheffe d'orchestre : Nicole Paiement
Chœur : Chœur de l’Opéra de Montréal
Orchestre : Orchestre Métropolitain
Production / Diffusion : Opéra de Montréal, Pacific Opera Victoria
Source : https://www.placedesarts.com/evenement/jenufa-janacek